El Salvador

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Quand c’est l’école qui gagne la guerre contre les gangs

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En 2022, le président Bukele a lancé une campagne radicale contre les gangs criminels qui ensanglantaient le Salvador depuis des décennies. Avec l’instauration de l’état d’urgence, plus de 80 000 personnes ont été arrêtées. Ces mesures spectaculaires ont permis de réduire considérablement la violence : un record a récemment été atteint avec 776 jours d’affilé sans meurtre. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité de plus en plus difficile pour des milliers de jeunes. Avec une conséquence inattendue.

Le Salvador est le plus petit pays d’Amérique centrale. Bordé par l’océan Pacifique, le Guatemala et le Honduras, il a pour capitale San Salvador. Longtemps marqué par la violence des gangs, il est désormais couru pour ses paysages volcaniques, sa culture maya et son dynamisme économique. La transformation semble totale : le pays a même adopté le dollar américain et le bitcoin comme monnaies officielles.

Et c’est vrai. Il suffit de se promener dans les quartiers de San Salvador : les rues sont devenues nettement plus sûres. La politique répressive et sécuritaire du président Bukele porte manifestement ses fruits. Mais pour de nombreux jeunes, ces fruits ont un goût amer, celui de la peur et de l’abandon.

Pour accompagner sa politique de « guerre totale » contre les maras (gangs armés), le président Bukele a fait construire une prison géante, le Centre de Confinement du Terrorisme (CECOT), présentée comme le plus grand établissement pénitentiaire d’Amérique latine, voire du monde.

1,6 km2 d’emprise au sol, 19 tours de guet, quatre anneaux de sécurité, clôtures électrifiées à 15 000 volts, et une surveillance assurée par 600 militaires, 200 policier∙es et 50 membres d’un groupe d’intervention pénitentiaire. La méga prison, qui compte 40 000 détenus (avec un projet d’extension à 80 000), est devenue le symbole de la politique du président Bukele. Celui de son efficacité. Mais aussi de ses limites.

Selon la Commission interaméricaine des droits humains, la répression salvadorienne s’accompagne de nombreuses exactions. Des arrestations arbitraires ont lieu tous les jours. Des milliers de mineurs sont détenus. Les personnes arrêtées le sont souvent sans procédure régulière ni accès à leur famille.

Peur de sortir, peur d’être interpellé, peur d’être englouti par l’immense prison. Pour les jeunes salvadoriens, la violence des gangs a laissé la place à la violence d’état, avec des conséquences graves sur leur équilibre.

Car l’affaiblissement des gangs a d’autres conséquences. Dans un pays longtemps marqué par les phénomènes migratoires, les pères sont partis, laissant femmes et enfants au pays. Pour les jeunes, rejoindre un gang n’était pas seulement une source de revenus faciles. C’était aussi un cadre, un sentiment d’appartenance, une forme de figure paternelle de substitution, aussi toxique et malfaisante soit-elle. Disparus, les gangs laissent donc un vide économique, mais aussi et malgré tout, un manque affectif, qui s’ajoute à la peur de se faire arrêter.

Conséquences : les demandes de prise en charge psychologique sont en forte augmentation (lire par ailleurs). Mais on observe aussi un autre phénomène : un retour massif vers l’école.

« Pendant des années, les gangs ont été en « concurrence » avec l’école, raconte Kelvin García, coordinateur du bureau de planification et de développement de VIA Don Bosco au Salvador. Les jeunes étaient recrutés dès leur plus jeune âge avec des promesses de gain immédiat et facile. Du coup, plus de la moitié d’entre eux abandonnaient l’école avant l’âge de 15 ans. Aujourd’hui, avec la pression exercée sur les gangs, la situation semble changer. Depuis 2 ans, les inscriptions dans nos centres professionnels ont augmenté de manière significative. »

Un nouveau paradoxe pour ce pays qui vient de couper les financements dans l’enseignement technique et professionnel (lire par ailleurs) et qui est en recherche de main d’œuvre qualifiée.

Au Salvador, VIA Don Bosco travaille avec quatre centres de formation professionnelle, répartis entre San Salvador, La Libertad et Santa Ana. Son Bureau d’Emploi (BDE) compte 5 agences locales. En 2022-2026, près de 10 000 étudiants bénéficient de ses programmes avec un taux de mise à l’emploi des jeunes diplômés qui dépasse les 80%.