Bolivie

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Audrey & sara : « Nous sommes devenus ingrats. »

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En juillet dernier, VIA Don Bosco lançait un appel avec les journaux La Libre et Het Nieuwsblad. L’objectif ? Emmener deux lecteurs ou lectrices en Bolivie et leur demander de porter un regard neuf et critique sur les programmes de VIA Don Bosco. Deux mois après leur retour, les deux candidates sélectionnées, Sara Vermeulen et Audrey Salina, ont eu leurs entretiens de debriefing avec les équipes de VIA. Qu’ont-elles constaté sur le terrain ? Qu’ont-elles pensé des programmes de VIA Don Bosco ? Faut-il les améliorer ? Et si oui, comment ? Interview croisée.

Santa Cruz, Yapacaní, Cochabamba, La Paz. Vous avez visité beaucoup d’écoles et rencontré beaucoup de monde : des directeurs et directrices, des profs, des élèves, des familles… Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans ce voyage ?

Sara – « Nous avons vu la Bolivie comme il est impossible de la voir si on y va en simples touristes. Nous avons été plongées dans la réalité locale ; ou plutôt dans les réalités locales qui sont très différentes les unes des autres. En ville, les écoles que nous avons visitées sont des centres scolaires classiques avec des classes et des ateliers pour les travaux pratiques. À la campagne ou en montagne, elles ont de grands jardins pour les filières agricoles. Les contextes sont très différents. Il faut aussi dire : ce n’est pas le « grand chic » et les infrastructures sont basiques. Mais les conditions de travail semblent bonnes. Les écoles sont ouvertes en journée mais aussi en soirée, pour s’adapter à la réalité des jeunes qui travaillent pour soutenir leur famille. Certaines ont même des garderies d’enfants pour les jeunes parents et pour permettre aux mères adolescentes de suivre les cours ou une formation. »

Audrey – « Ce qui m’a surpris le plus, moi, c’est le calme dans les écoles. Ce sont des havres de paix où règnent une certaine discipline mais aussi beaucoup de joie. Les jeunes s’y sentent en sécurité, c’est évident. Ce sont des oasis au milieu de quartiers particulièrement difficiles où il y a beaucoup de violence, de pauvreté, de trafic de drogue, de situations familiales très compliquées et aussi pas mal de problèmes de santé. »

Quel regard portez-vous sur les programmes de VIA Don Bosco en Bolivie ?

Sara – « L’objectif poursuivi par VIA Don Bosco avec ses écoles partenaires est de proposer une éducation de qualité dans les matières techniques et professionnelles. Il y a du choix avec beaucoup de filières différentes : esthétique, électricité, mécanique, agriculture, puériculture, infirmerie… Ces filières sont sélectionnées en fonction du marché du travail local. D’après les chiffres qu’OFPROBOL, le partenaire direct de VIA Don Bosco sur place, nous a montrés, ça a l’air de bien fonctionner. Au-delà de ce schéma assez classique, le plus marquant pour moi reste tout le travail des profs pour accompagner les jeunes et leur donner confiance en eux, en elles. On sent un grand investissement de leur part. Beaucoup nous ont raconté les parcours de leurs élèves. Plusieurs avaient les larmes aux yeux. C’était des moments d’émotion intense. »

Audrey – « Je partage complètement ton avis. Ces enseignant·es sont plus que des profs en fait. Ils et elles travaillent avec des jeunes qui, souvent, ont eu des parcours de vie très compliqués. Une grande partie de leur travail est de faire prendre conscience à ces garçons et ces filles qu’ils et elles peuvent réussir comme tout le monde. Il s’agit aussi de reconstruire les âmes de ces jeunes. »

Pour vous, la période la plus critique pour ces jeunes vient juste après la fin de leurs études ?

Sara – « Effectivement, nous avons constaté que la période post-diplôme est assez critique. Si on veut éviter que l’économie informelle finisse par aspirer les jeunes, il faut qu’ils et elles puissent rapidement trouver un emploi stable, et digne, une fois leur diplôme en poche. Et ça, c’est le job des bureaux d’emploi locaux de VIA Don Bosco : ils accompagnent les jeunes des écoles partenaires dans leur recherche d’un emploi ou dans leurs démarches entrepreneuriales. Ce suivi est très concret et soutenu. Cela demande donc du temps et beaucoup d’organisation, ce qui n’est pas toujours facile. »

Audrey – « Par rapport à cela, je pense qu’un des principaux atouts de VIA est de travailler avec un réseau d’écoles bien implantées, et avec des personnes locales qui connaissent très bien les réalités et défis du terrain. Cela crée des dynamiques. Par exemple, on voit pas mal d‘anciens et anciennes élèves qui ont monté leur entreprise prendre en stage ou embaucher des jeunes de leurs anciennes écoles. Il y a énormément de solidarité. C’est une grande famille. ».

Vous avez eu un aperçu de la réalité parfois dure que vivent les femmes en Amérique latine. Vous avez d’ailleurs rencontré Laura, le personnage principal du film « Laura, maman à 12 ans ». Mais vous avez aussi été frappées par la force de caractère des femmes que vous avez rencontrées ?

Audrey – « La rencontre avec Laura était un moment très fort. Elle a vécu l’horreur mais aujourd’hui, c’est une femme forte, souriante, déterminée. J’ai aussi été très marquée par Heidy et Isabel, qui travaillent pour les organisations partenaires de VIA et ont accompagné Laura à la sortie de l’école. Dans le film, on voit l’émotion qui serre leur gorge lorsqu’elles racontent l’histoire de Laura. Il leur a fallu une force inouïe pour faire ce qu’elles ont fait. »

Sara – « C’est vrai. Malgré les nombreux obstacles qu’elles ont à surmonter, les femmes en Bolivie sont d’une force incroyable. Dans les écoles partenaires, la plupart des postes clés sont d’ailleurs occupés par des femmes. Elles sont directrices, profs, psychologues, thérapeutes familiales, coachs, assistantes sociales…  C’est certain, leur travail impactera les générations futures. On l’a constaté avec Laura : les filles qui ont étudié font tout pour que leurs enfants étudient aussi. »

Votre mission était de porter un regard critique sur le programme de VIA Don Bosco. Qu’avez-vous dit lors du debriefing ?

Sara – « De manière générale, je trouve que les programmes de VIA Don Bosco sont robustes. Mais c’est parfois un peu lent et on sent une certaine forme d’indécision face à certains situations. Pour moi, un leadership fort et identifié est un point d’amélioration très clair. »

Audrey – « J’ai moi aussi trouvé les programmes très structurés. Depuis l’accrochage scolaire jusqu’à l’insertion professionnelle, le parcours est cohérent et fonctionne. Mais j’ai trouvé qu’il manque une dimension : l’apprentissage des langues. C’est inclus dans le cursus des écoles à La Paz mais pas à Santa Cruz, ni à Yapacani ou à Cochabamba. Or l’apprentissage des langues est un atout professionnel et une ouverture indispensable pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. »

Sara – « J’ajoute que la Bolivie est un pays Exit pour VIA Don Bosco. Cela veut dire que dans deux ans, l’organisation mettra fin à ses projets dans le pays. D’ici là, je pense qu’il faut tout faire pour que OFPROBOL puisse continuer sa mission dans de bonnes conditions. Je sais que c’est l’objectif de VIA et des partenaires mais on sent bien que la situation est fragile. Ce n’est pas une question de compétences – les équipes locales les ont acquises – mais une question de moyens financiers. C’est un autre point de vigilance que j’ai communiqué. »

Vous avez changé votre regard sur l’éducation ?

Oui, mon regard sur l’éducation a profondément changé et cette expérience m’amène à penser qu’on aurait, ici en Belgique, beaucoup à apprendre de la Bolivie. »

Audrey – « Oui je rejoins Sara. Nous en Belgique sommes devenus un peu ingrats. On a oublié la chance que nous avons de pouvoir étudier, et la force de l’éducation en général. En Bolivie, les enfants avec qui nous avons parlé avaient bien conscience du fait que l’école allait changer leur vie. »