El Salvador

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La guerre contre les gangs bouleverse les équilibres économiques et… psychologiques

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Englué depuis des décennies dans le cercle vicieux de la pauvreté, de l’insécurité et de l’émigration, le Salvador vit actuellement une mutation historique. Depuis mars 2022 et le lancement d’une opération antigang sans précédent par son président Nayib Bukele, ce petit pays de 6,5 millions d’habitants connait la situation sécuritaire la plus pacifiée de son histoire récente. Ce rebattement de cartes ouvre de nouveaux horizons pour la population et principalement pour une partie de la jeunesse salvadorienne en quête de nouveaux repères. Mais il charrie également son lot de paradoxes.

Des chiffres hallucinants

Un taux d’homicide divisé par 15 en 3 ans, 1% de la population du pays derrière les barreaux, une prison pour 40 000 personnes (la plus grande du continent) construite en un temps record… Avec ses arrestations arbitraires parfois pour un simple tatouage, ses détentions sans procès et les inévitables délations abusives, la politique de main de fer initiée par le jeune président Bukele est entachée de nombreuses accusations d’atteintes aux Droits de l’Homme. Mais elle a aussi radicalement changé le quotidien des Salvadoriens.

Des enfants qui jouent au ballon dans la rue, des femmes qui se promènent dans les parcs, des habitants qui vaquent à leurs occupations en toute quiétude… Les rues de San Salvador revivent des scènes depuis longtemps oubliées. « L’activité des gangs s’est effondrée », commente Kelvin Garcia, coordinateur du Bureau de Planification et de Développement de VIA Don Bosco au Salvador. Et il est évident que la vie quotidienne s’est globalement apaisée ».

Si la politique du président Bukele est plébiscitée par une large part de la population qui ne voit pas ombrage à ce qu’il se présente pour un deuxième mandat en dépit de la constitution, le calme retrouvé a des conséquences inattendues, notamment sur le plan économique.

La fin des gangs, la fin d’un système

« 65% des gens sont au chômage et plus d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cette situation catastrophique est à l’origine d’un phénomène d’émigration de masse vers les États-Unis. Dans beaucoup de familles, l’un des deux parents est parti et l’argent qu’il envoie est souvent la seule ressource. Du coup, les jeunes se sentent moralement obligés de subvenir eux aussi aux besoins de la famille. C’est culturel ».

Jusqu’ici les gangs offraient à ces jeunes un « débouché » facile qui entrait en concurrence directe avec le système éducatif. Mais avec l’effondrement de l’économie de l’ombre, l’école redevient attractive. « Nous constatons un afflux significatif de demandes pour intégrer nos centres professionnels », poursuit Kelvin Garcia. « C’est un indicateur fort que les frontières invisibles qui délimitaient les zones d’influence des gangs ont disparues».

Au Salvador, VIA Don Bosco finance des programmes dans quatre centres de formation professionnelle pour un peu plus de 5.000 élèves. 80% des diplômés qui sortent de ces centres trouvent un emploi en fin de cursus. Mais le nouveau paysage sécuritaire, censé clarifier la situation des jeunes, ne la simplifie pas pour autant.

« Il faut garder en tête qu’avec l’émigration, beaucoup d’enfants vivent dans des foyers monoparentaux, souvent sans repère paternel. Pour beaucoup d’entre eux, les gangs jouaient le rôle de parent de substitution ou pour le moins de béquille affective. Même s’il était destructeur, le sentiment d’appartenance que leur apportait les gangs n’existe plus aujourd’hui ».

Anxiété, symptômes dépressifs, insécurité affective… Si la « révolution Bukélé » a apporté la sérénité dans les rues, c’est loin d’être le cas dans la tête des jeunes Salvadoriens.

L’Institut Salvadorien de la Formation Professionnelle ferme ses portes : les écoles partenaires de VIA Don Bosco en recherche urgente de fonds

C’est une nouvelle qui a pris tout le monde de court. Dans un post Facebook datant du 6 décembre dernier, l’Insaforp – l’Institut Salvadorien de la Formation Professionnelle – a annoncé l’arrêt de ses services après 30 ans d’activité. Une décision incompréhensible qui menace l’avenir de toute la filière d’enseignement professionnel du pays.

Si les financements de VIA Don Bosco ont pour but de renforcer la qualité de l’enseignement avec la mise en place de nouvelles filières de formation en lien avec le marché de l’emploi local, la formation des professeurs,  le soutien psychologique ou encore l’accompagnement socio-professionnel des jeunes, « l’Insaforp, lui, prenait en charge le salaire des professeurs de l’ensemble des établissements techniques et professionnels du pays et donc de nos écoles partenaires. La décision du gouvernement est un coup de massue, une véritable catastrophe », se désole Kelvin Garcia.

Pour assurer la continuité des formations, des mesures ont dû être prises. « Nous avons converti une partie de nos programmes sous forme numérique pour qu’ils restent accessibles au plus grand nombre. Ce n’est évidemment pas idéal et l’urgence est clairement à la recherche de fonds car du côté du gouvernement, c’est encore très flou ».

Ce dernier a justifié sa décision en expliquant que l’Insaforp ne devrait pas complètement disparaître mais qu’il serait plutôt « renouvelé » avec une dotation considérablement revue à la baisse. « On parle d’une réduction de 60 à 12 millions de dollars par an pour financer l’ensemble de la formation professionnelle du pays. Cette décision met en nos centres de formation au moment même où beaucoup de jeunes souhaitent reprendre le chemin de l’école ». Un paradoxe de plus dans un pays qui les accumulent.